Le peintre verrier
Georges Devèche
(1903-1974)
créateur des vitraux de Grosrouvre
Georges Devèche est né à Paris le 27 janvier 1903 dans une famille de
décorateurs, son grand-père, Alexandre Devèche (1844-1908) étant arrivé à Paris
de sa Picardie natale en pleine période haussmanienne. Ce dernier a d’abord
créé une petite usine de stuc,
matériau fort employé à l’époque, avant de s’associer à 23 ans avec un
décorateur ornemaniste de la rue de Constantinople et de faire ainsi fortune,
construisant enfin un immeuble de rapport dans la rue Brey, près de l’Etoile,
afin d’y transférer son domicile et ses activités en 1882.
La formation de Georges Devèche a donc été assurée dans la maison de décoration
familiale par son propre père Pierre Devèche (1877-1941), lequel avait pris la
suite d’Alexandre comme décorateur-ensemblier. La maison Devèche est alors
devenue, dans l’entre-deux-guerres, un prestigieux lieu de création où
s’élaborent à la fois des meubles, des objets, des tapis et de la tapisserie.
Tandis que son frère André gardera toute sa vie l’orientation familiale
de décorateur-ensemblier, Georges Devèche va consacrer peu à peu l’essentiel de
son activité à la peinture de cartons de tapisserie. C’est ainsi qu’il réalise après la seconde guerre
mondiale, à la demande de la Ville de Paris, la fameuse tapisserie monumentale
du Jugement dernier, toujours en
place depuis 1946 dans la salle d’audience du tribunal pour enfants du Palais
de Justice de Paris.
De nature discrète et contemplative, il se trouve que Georges Devèche
est aussi profondément croyant. Passant ses dimanches et ses vacances à
Grosrouvre avec sa famille, il fait inévitablement connaissance avec André
Bagnol (1922-2004), vicaire desservant de cette paroisse, lequel est arrivé au
doyenné de Montfort-l’Amaury le 10 août 1947. C’est celui-ci qui va rapidement
convaincre son « paroissien parisien » de créer des vitraux pour l’église
multiséculaire de Grosrouvre, qui reste complètement dévastée depuis le
bombardement allié qui s’est abattu sur la commune le dimanche 13 août 1944
(juste après la messe, au moment de passer à table), alors même que Georges
Devèche se trouvait comme d’habitude au Chêne-Rogneux avec sa famille.
Il s’avère que l’élaboration et la réalisation des vitraux de l’église
de Grosrouvre vont provoquer chez l’artiste un véritable déclic – le faisant
passer de la tapisserie aux vitraux – ce qui l’amène à déployer son goût
naturel pour l’architecture en s’écartant définitivement de la rue Brey pour se
fondre dans le grand mouvement d’art sacré de l’immédiat après-guerre. C’est en
effet le chantier de Grosrouvre (les vitraux, mais aussi l’autel de la Vierge
et les deux petits oratoires édifiés sur les principaux carrefours du village)
qui transforme de facto le peintre
cartonnier reconnu des années cinquante en éminent peintre verrier, s’affairant
désormais dans une multitude d’autres églises, romanes ou gothiques, durant les
quinze dernières années de sa vie.
Les vitraux de Georges Devèche, qui aime aller contempler pendant de longues heures
les verrières de la cathédrale de Chartres, sont ainsi profondément pensés pour
créer une atmosphère de prière, comme le sont les musiques d’orgues ou les
chants. Il y a donc peu de sujets précis à regarder dans ses vitraux, peu de
descriptif, car ce qu’il recherche avant tout, c’est à créer une symphonie de
couleurs destinée à toucher l’imagination, la sensibilité, l’être intérieur de
chacun.
En ce qui concerne les vitraux de Grosrouvre qui constituent son « banc d’essai » (trois sur les
neuf qui lui ont été commandés étant destinés à évoquer Saint Martin de manière
figurative, car il est le patron de la paroisse), commençons par les trois
vitraux de gauche qui vont de l’autel de la Vierge jusqu’au choeur. Situés du
côté nord, là où le soleil
ne vient jamais traverser le vitrail, leur lumière à dominante bleue (où se
mêlent quelques rouges, mauves et ors) est douce et directe afin de garder le
maximum de clarté. C’est de ce côté que se trouve l’un des trois vitraux
figuratifs, nous montrant sobrement Saint-Martin devenu évêque de Tours sans
pour autant renier son idéal monastique à Marmoutier.
À l’est, là où la lumière du soleil rayonne dès l’aurore, se
trouvent les deux verrières du choeur qui ont été repercées après la seconde
guerre mondiale, mutilant ainsi les peintures murales, quasiment considérées
comme perdues, qu’avait initiées l’Abbé Pascal (1867-1932) avec son ami
Dusouchet (1876-1936) à l’issue de la Grande Guerre. Georges Devèche y conserve
les mêmes tonalités de bleus mêlées de touches rouges et mauves, tout en
glissant dans leur composition deux encensoirs quelque peu linéaires. Chacun de
ces vitraux est souligné d’un verset inspiré de psaumes couramment utilisés
dans la liturgie : « Terre, chante la gloire du Seigneur » et « Seigneur !
Renouvelle la face de la terre », leur contemplation – de part et d’autre du
Christ monumental installé par l’Abbé Pascal – étant à l’évidence destinée à
susciter la prière.
Du côté sud, là où le
soleil et l’ombre jouent à tout moment à l’intérieur de l’église, se trouvent
les quatre derniers vitraux (dont deux destinés à relater la vie de Saint
Martin, l’un nous le montrant convertissant le chef des brigands qui viennent
de l’attaquer, et l’autre en train de couper son manteau en deux pour couvrir
un malheureux). Figuratifs ou non, ces quatre vitraux particulièrement lumineux
apportent une lumière chatoyante due à la richesse de leurs couleurs, où ce
sont maintenant les tons rouges et or qui dominent. Notons aussi que vitrail
situé au-dessus du banc d’oeuvre s’orne d’un motif rayonnant au centre duquel
figure le mot « Pax », la période de la guerre restant en effet bien présente
dans tous les esprits.
Il convient encore de noter que parmi les innombrables vitraux de
Georges Devèche postérieurs à ceux de Grosrouvre, le vitrail qui se trouve du
côté de l’autel de la Vierge frappe, chaque fois que c’est possible, par la
profondeur de sa coloration qui semble incrustée de pierreries, « symbolisant
l’annonce biblique de Celle qui était de tous temps destinée à sa mission
royale d’enfanter le fils de Dieu ».
« Je voudrais que le sanctuaire soit resplendissant » disait notamment Georges Devèche à propos des vitraux
de l’église de Barbezieux. Ce qu’il voulait aussi, c’était un programme
ambitieux, peu figuratif mais vivant et harmonieux. C’est ainsi que pour chacun
des lieux où il est sollicité, il étudie soigneusement l’ensemble des
verrières à réaliser afin que
l’église n’en ressorte pas assombrie, bien au contraire, cherchant à harmoniser
entre eux des tons très riches et souvent très foncés, le tout se voulant un
poème de couleur et de lumière à la gloire du Seigneur, dans une église
rénovée, jeune et belle ! – Comment ne pas penser alors à l’Abbé Pascal qui
parlait de son église de Grosrouvre comme d’une épouse ? – Psaumes, chants
sacrés à la gloire de Dieu, telle est la ligne suivie pour insinuer plus que
pour représenter. C’est tout l’émerveillement des vitraux du Moyen-Âge que
GEORGES DEVECHE tente de retrouver, par leur aspect de ruissellement coloré,
mais vus par nos yeux d’aujourd’hui, plus sensibles au seul jeu des couleurs et
des effets d’ensemble. C’est aussi par le morcellement des pièces de verre que
s’opère cette harmonisation. Chaque baie en comprend des centaines dont les
coloris se fondent, se mélangent, se dégradent en souplesse, ou se choquent
tour à tour, afin de créer pour chacune des fenêtres une composition vibrante
dans laquelle toutes les heures du jour apporteront leur mystère évocateur.
Ainsi la liturgie, la musique et les voix doivent-elles constituer un
tout avec le décor des vitraux.
Les coloris de Georges Devèche déploient ainsi toutes les gammes de bleu et d’or qui
se marient parfaitement aux tons clairs ou profonds des autres couleurs. Mais
ce sont surtout l’abside et le côté sud qui doivent à toute heure du jour
charmer le coeur, le regard et l’esprit. Comme en disserteraient les experts du
Moyen-Âge, découvrez dans les vitraux Devèche les rubis et les topazes, les émeraudes
et les turquoises, les améthystes et les saphirs, mais aussi, pour les mettre
en valeur, les feuilles mortes, les blancs purs et les « contrastés ». Avec
quelques rayons de soleil, cette symphonie se déploie en effet comme de
vivantes et magnifiques tapisseries dans les embrasures, sur les murs et sur
les dallages. Et s’il vous est déjà arrivé de vibrer en écoutant un chant de
Noël ou la touche rapide et légère d’une musique sacrée, le scintillement de
ces vitraux devrait vous apporter la même plénitude et le même plaisir. De
même, si vous faites un tour à la tombée du jour dans certaines des églises
traitées par Georges Devèche, laissez-vous prendre par la profondeur de ton que
ses vitraux dégagent alors inévitablement.
Il convient néanmoins de souligner au passage l’aptitude de Georges
Devèche à respecter chaque fois que nécessaire la sobriété de certains des
édifices qui lui ont été confiés, lui faisant alors adopter un graphisme et des
coloris proches des vitraux cisterciens. En effet, conformément à la Règle de Saint Bernard qui
interdit aux moines de décorer leurs églises de vitraux peints et de couleurs,
la réfection des grisailles de certains édifices nécessite une grande économie
de moyens, tout en multipliant les effets ornementaux à partir d’entrelacs et
de motifs géométriques ou végétaux enserrés dans leurs résilles de plombs.
Les exemples les plus emblématiques des créations de Georges Devèche
d’inspiration cistercienne sont ainsi l’église Saint-Bernard de Montsalvy dans
le Cantal (XI° siècle), l’église Notre-Dame de Moirax dans le Lot-et-Garonne
(XI° et XII° siècles), et l’église Sainte-Cécile de Loupian dans l’Hérault
(gothique languedocien du XIV°).
L’Atelier du Vitrail de Limoges (qui signe A.V.L.), a réalisé la
plupart des chefs d’oeuvre du peintre verrier Georges Devèche à partir des
maquettes et des cartons de celui-ci, lui-même n’hésitant jamais à mettre la
main à la pâte aux côtés de l’ouvrier verrier. C’est donc tout simplement la
localisation géographique de cet atelier (dirigé par un administrateur et non
par un maître verrier), qui explique la concentration marquée des vitraux de
Georges Devèche dans le centre et le sud-ouest de la France.
Quelques écrits de Georges Devèche (pour l’église Saint-Mathias de Barbezieux en 1970)
« J’ai beaucoup travaillé pour composer le choeur ; les dessins à la
grandeur d’exécution, et tout le numérotage des colorations sur chaque pièce,
ainsi que la recherche et l’indication des plombs de différente grosseur, ce
qui contribue grandement à faire chanter le graphisme. Actuellement [le 28 mai 1970], toutes les pièces de verre sont
coupées, environ dix mille, simplement pour le choeur ; il reste à faire le
montage en plomb.
Au travers des yeux et des voix, j’espère aussi un regard de Celui
qui est au-delà ! Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le sens du
sacré est sans doute le levier qui allège le poids de l’effort et qui nous aide
tant !
J’essaie de situer tant bien que mal l’état d’esprit qui est le mien
pour réaliser ce grand travail : c’est encore et ce sera toute ma vie une
immense joie d’avoir pu m’exprimer dans la couleur et la lumière dans votre
belle église ».
Selon les termes d’une petite brochure diffusée à Barbezieux, « Georges
Devèche a regagné la Vraie Lumière [à
Paris] le 10 décembre 1974. Il est en Dieu Qu’il a servi de tout son être et
Qu’il a voulu glorifier par ses merveilleux vitraux ». Et c’est au cimetière de Grosrouvre qu’il repose
modestement avec son épouse Paule, non loin de la famille Tinayre.
L’art du vitrail n’existant que dans la relation du verre et de la
lumière, nous pouvons terminer – sans grand risque de nous tromper – en
soulignant à quel point le peintre verrier Georges Devèche fut dans la dernière
période de sa vie un authentique « passeur de lumière ».
Des joyaux
des pierres précieuses
musique des couleurs
de l’aurore à midi
crépuscule flamboyant
d’or et de feu
Claire SALVY
auteur de Grosrouvre d’un siècle à l’autre, 1999
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